Les « prophéties » messianiques


Dans les églises (et sur les sites apologétiques), on entend souvent dire que l’Ancien Testament de la Bible contiendrait un grand nombre de prophéties sur Jésus, que le Messie aurait été annoncé bien à l’avance, et que les différents prophètes de l’Ancien Testament auraient prévu plusieurs siècles à l’avance bien des détails de la vie de Jésus.

Des apologistes comme Josh McDowell ou Werner Gitt prétendent avoir déterminé la probabilité que toutes les « prophéties » de la Bible « se soient réalisées par hasard ». Pour cela, ils ont attribué à chacune des prétendues prophéties une probabilité de réalisation de ½ et ont effectué le calcul (1/2) puissance le nombre de « prophéties » reportées, ce qui donne un résultat extrêmement faible. Pour ces apologistes, la seule explication pour « la réalisation de toutes ces prophéties » serait l’origine divine de la Bible. J’ai déjà expliqué, dans un article sur les prophéties non-messianiques de la Bible, pourquoi ce calcul de probabilités n’avait aucune valeur, les méthodes apologétiques employées permettant d’obtenir le résultat souhaité dans tous les cas (voir « Problèmes avec l’argument des prophéties accomplies », notamment les critères logiques listés au début de cet article, pour retenir ou non une prophétie). Josh McDowell et Werner Gitt incluent aussi les prophéties messianiques dans leur calcul de probabilités, en leur attribuant également une probabilité de réalisation de ½ à chacune, ce qui là encore n’est pas justifié, comme nous allons le voir.

Il y a trois types de prophéties messianiques. Une partie des Écritures juives contenait effectivement des prophéties sur un Messie à venir. Ces prophéties étant reconnues par les Juifs, il était donc théologiquement nécessaire pour les auteurs chrétiens qu’elles se soient accomplies. Et dans les récits biographiques des évangiles, on les voit s’accomplir. Rien ne prouve que ce soit réellement le cas, nous ne disposons que de la parole de leurs auteurs anonymes. Il arrive que deux évangiles fassent s’accomplir un ensemble de prophéties de deux manières différentes et incompatibles, ce qui semble indiquer que leurs biographies de Jésus respectives ont été rédigées exprès pour faire s’accomplir ces prophéties (reconnues par les Juifs, faisant partie du premier type de prophéties messianiques).

Le second type de prophéties messianiques rassemble tous les passages de l’Ancien Testament présentés par les auteurs du Nouveau comme des prophéties sur Jésus, mais qui n’ont visiblement rien à voir avec ce dernier quand on les lit dans leur contexte. Les rédacteurs des évangiles ont probablement ressenti le besoin de présenter de nouvelles prophéties pour rendre plus crédibles les péripéties relatées qui ont (soi-disant) fait s’accomplir les prophéties messianiques du premier type. Ils ont donc visiblement ratissé l’Ancien Testament, et ont fait des « prophéties messianiques » d’un peu tout ce qu’ils ont pu trouver, en sortant les passages de leur contexte et en en tordant le sens. Ce procédé malhonnête est très souvent utilisé par les auteurs du Nouveau Testament, y compris quand ils font parler Jésus, et y compris pour justifier la théologie chrétienne à partir des textes juifs.

J’ai enfin défini un troisième type de prophéties messianiques pour le passage sur le serviteur de Dieu dans Ésaïe 53. Il est possible que ce soit ce passage (qui selon les Juifs se rapporte aux anciens Israélites et n’a rien d’une prophétie messianique) qui ait donné l’idée aux adeptes du christianisme naissant du dogme du sacrifice rédempteur, tout comme cela s’était déjà produit avec les adeptes de la secte essénienne.

Quand les apologistes tels Josh McDowell et Werner Gitt effectuent leur calcul de probabilités sur les prophéties messianiques (destiné à prouver que la Bible est d’origine divine), ils partent du principe que la Bible est d’origine divine et qu’en conséquence (notamment) :
• tous les événements que les évangiles rapportent se sont produits tels quels,
• à chaque fois qu’un auteur du Nouveau Testament prétend que tel verset de l’Ancien est une prophétie sur Jésus, tel était effectivement l’idée de l’auteur du passage concerné (ou de « Dieu »), même si le passage n’a visiblement aucun rapport.
Cela leur permet de trouver une probabilité extrêmement faible et « inexplicable humainement », alors qu’ils n’ont fait que partir du principe que la Bible était la parole de Dieu pour parvenir à cette conclusion (raisonnement circulaire).

Examinons maintenant certaines des « prophéties messianiques ».

Le début de l’évangile de « Matthieu » nous relate une des deux versions de la naissance de Jésus (incompatible avec la version de « Luc », donc il y a forcément au moins un des deux livres qui ment). Il est dit que Jésus a été conçu dans la vierge Marie, sans que cette dernière n’ai fait l’amour avec qui que ce soit. Puis « Matthieu » nous dit, dans le chapitre 1 versets 22 et 23 :

Tout cela arriva afin que se réalise ce que le Seigneur avait dit par le prophète : La vierge sera enceinte et mettra au monde un fils, qu’on appellera Emmanuel.

Dans ma Bible, il y a un petit astérisque, qui me donne la référence de cette prophétie dans l’Ancien Testament : celle-ci se trouve en Ésaïe 7:14. Allons-y. Dans ce passage, il est question du roi Ahaz qui a peur du roi d’Éfraïm et du roi de Syrie. Dieu-Ésaïe lui dit alors qu’il va lui donner un signe pour savoir quand est-ce que ces deux rois qu’il craint tant n’auront plus aucun pouvoir.

Ésaïe 7:10-17 (le verset 14, notre fameuse « prophétie » de l’évangile de Matthieu, est souligné)

Le Seigneur ajouta cet autre message pour Ahaz : Demande au Seigneur ton Dieu un signe de son appui. Qu’il te le donne au fond du monde des morts ou là haut dans le ciel. Mais Ahaz répondit : Non, je ne demanderai rien ; je ne veux pas mettre le Seigneur à l’épreuve. Alors Ésaïe lui dit : Écoutez–moi, toi et ta famille, les descendants de David. On dirait que cela ne vous suffit pas d’épuiser la patience des hommes, et qu’il vous faut aussi épuiser la patience de mon Dieu. Eh bien, le Seigneur vous donne lui–même un signe : la jeune femme va être enceinte et mettre au monde un fils. Elle le nommera Emmanuel, Dieu avec nous. L’enfant sera nourri de crème et de miel, jusqu’à ce qu’il soit capable de refuser ce qui est mauvais et de choisir ce qui est bon. Avant même que le petit garçon soit en âge de faire cette différence, le territoire dont les deux rois te font si peur sera abandonné par ses habitants. Mais pour toi, pour ton peuple et pour ta dynastie, le Seigneur va faire venir un temps qu’on n’avait plus connu depuis le jour où le royaume d’Israël s’est séparé du royaume de Juda. – C’est une allusion à l’intervention du roi d’Assyrie.

Où est le rapport avec Jésus? Il n’y en a pas. Dans cette prophétie, on voit que l’enfant dont parle Ésaïe est nécessairement né avant la chute annoncée des deux rois (Ressin de Syrie et Peca d’Israël), donc ça ne peut pas être Jésus, qui est né plusieurs siècles après.

Au passage : si c’est bien à la même guerre à laquelle fait allusion 2 Chroniques 28 :5-8, alors le livre de 2 Chroniques prétend que contrairement à la prophétie d’Ésaïe, les rois Ressin et Peca auraient vaincu Ahaz.

Une autre « prophétie » : d’après « Matthieu », les parents de Jésus sont obligés de partir avec lui en Égypte parce qu’Hérode va chercher à le faire mourir. Et il nous dit :

Matthieu 2:14-15

Joseph se leva donc, prit avec lui l’enfant et sa mère, en pleine nuit, et se réfugia en Égypte. Il y resta jusqu’à la mort d’Hérode. Cela arriva afin que se réalise ce que le Seigneur avait dit par le prophète : J’ai appelé mon fils à sortir d’Égypte.

Cette fois-ci, d’après ma Bible, la « prophétie » se trouve en Osée 11:1. Allons-y.

Osée 11:1-2 (le verset 1 est en souligné)

Quand Israël était jeune, je me suis mis à l’aimer, dit le Seigneur, et je l’ai appelé, lui mon fils, à sortir d’Égypte. Mais ensuite, plus on les appelait, plus ils s’éloignaient. Mon peuple offre des sacrifices à Baal et aux dieux de cette espèce, il brûle des offrandes en l’honneur des idoles.

L’entité appelée « Fils de Dieu » n’est rien d’autre que le peuple d’Israël, et il est parlé de l’exode des Hébreux. D’ailleurs la suite est très problématique : le « Fils de Dieu », bien que Dieu l’ait fait sortir d’Égypte, ne cessait de se détourner de lui et de retourner à l’idolâtrie. De toute évidence, il ne s’agit pas de Jésus. La plupart des chrétiens évangéliques considèrent que la prophétie messianique s’arrête à la fin du verset 1. Autrement dit, ils procèdent, tout comme « Matthieu », en isolant complètement cet extrait de son contexte de manière à pouvoir lui faire dire ce qu’ils veulent. C’est, comme je l’ai déjà expliqué, une drôle de manière de concevoir l’exégèse.

Autre prophétie: Jésus et ses parents, quand ils reviennent, s’installent à Nazareth. Et « Matthieu » nous dit:

Matthieu 2:23

Il partit pour la province de Galilée et alla s’établir dans la ville appelée Nazareth. Il en fut ainsi pour que se réalise cette parole des prophètes: "Il sera appelé Nazaréen".

Cette « prophétie »-là est introuvable dans toute la Bible. On ignore d’où « Matthieu » tient ça. Il est probable qu’elle se trouve dans un livre considéré comme divin à cette époque puis devenu apocryphe et perdu, puisqu’il semblait admis pour les Juifs de cette époque que le Messie devait être « appelé Nazaréen ».

En Hébreux 1:5, l’auteur inconnu (Paul ?) cherche à démontrer que Jésus est supérieur aux anges. Pour preuve, il cite plusieurs versets, dont 2 Samuel 7:14.

Hébreux 1:5

En effet, Dieu n’a jamais dit à l’un de ses anges: "C’est toi qui est mon Fils, à partir d’aujourd’hui, je suis ton Père".

Lisons maintenant le verset dans 2 Samuel. Dans le chapitre 7 de ce livre, Dieu dialogue avec David. La phrase citée par l’auteur de l’épitre aux Hébreux concerne Salomon.

2 Samuel 7:12-14 (le verset 14 est souligné)

Lorsque sera venu pour toi le moment de mourir, je désignerai l’un de tes propres enfants pour te succéder comme roi, et j’établirai fermement son autorité. C’est lui qui me construira un temple, et moi je l’installerai sur un trône inébranlable. Je serai un père pour lui et il sera un fils pour moi. S’il agit mal, je le punirai comme un père punit son fils.

« Dieu » parle de punition éventuelle envers la personne dont il est question. Alors que Jésus est censé être sans péché. Même remarque que pour la « prophétie » sur la fuite en Égypte.

Après la « résurrection » de Jésus, Pierre est amené à faire un discours dans le temple. Il cite une « prophétie » de Jésus dans la Thora.

Actes 3:21-24

Pour le moment, Jésus–Christ doit rester au ciel jusqu’à ce que vienne le temps où tout sera renouvelé, comme Dieu l’a annoncé par ses saints prophètes depuis longtemps déjà. Moïse a dit en effet : Le Seigneur votre Dieu vous enverra un prophète comme moi, qui sera un membre de votre peuple. Vous écouterez tout ce qu’il vous dira. Tout homme qui n’écoutera pas ce prophète sera exclu du peuple de Dieu et mis à mort. Et les prophètes qui ont parlé depuis Samuel ont tous, les uns après les autres, également annoncé ces jours–ci.

Jésus aussi, d’après l’évangile de Jean, fait allusion à cette prophétie; il dit :

Jean 5:45-47

Mais ne pensez pas que je vous accuserai devant mon Père. C’est Moïse qui vous accusera, lui en qui vous avez mis votre espérance. Si vous croyiez vraiment Moïse, vous me croiriez aussi, car il a écrit à mon sujet. Mais puisque vous ne croyez pas ce qu’il a écrit, comment pourriez–vous croire mes paroles ?

Cette prophétie se trouve en Deutéronome 18:18. Allons-y.

Deutéronome 18:14-20 (le verset 18 est souligné)

Les peuples que vous allez déposséder écoutent les conseils de ceux qui pratiquent la magie ou la divination. Le Seigneur votre Dieu vous interdit d’agir ainsi. Il vous enverra un prophète comme moi, Moïse, qui sera un membre de votre peuple : vous écouterez ce qu’il vous dira. C’est bien ce que vous avez demandé au Seigneur, le jour où vous étiez rassemblés au mont Horeb ; vous avez dit : Nous ne voulons plus entendre le Seigneur notre Dieu nous parler directement, ni voir ce feu ardent ! Nous ne tenons pas à mourir ! Le Seigneur m’a alors déclaré : Ce peuple a eu raison de parler ainsi. Je vais leur envoyer un prophète comme toi, qui sera un membre de leur peuple. Je lui communiquerai mes messages, et il leur transmettra tout ce que je lui ordonnerai. Si un homme ne tient pas compte des paroles que le prophète prononcera en mon nom, je le punirai moi–même. Mais si un prophète a l’audace de prononcer en mon nom un message que je ne lui ai pas communiqué, ou s’il parle au nom d’autres divinités, il devra être mis à mort.

Notons que les musulmans prennent ce passage pour une prophétie de Mohammed. Dans certaines traductions, on peut lire « je leur susciterai du milieu de leurs frères un prophète comme toi » au lieu de « je vais leur envoyer un prophète comme toi, qui sera un membre de leur peuple ». Les frères des Israélites étant les Arabes. Mais quand on lit le contexte, on voit que le verset 18 ne peut ni se reporter à Jésus, ni à Mohammed. Dieu parle de l’après-Moïse. Les Israélites auraient fait part de leur crainte de voir Dieu face à face : « Nous ne tenons pas à mourir ! » En conséquence de quoi « Dieu » a dit qu’après la mort de Moïse il choisirait un remplaçant et lui parlerait à lui, pour que le peuple lui-même ne soit pas obligé de voir Dieu face à face. « Dieu » dit aux Israélites que ceux-ci n’ont pas à se faire de soucis car même après la mort de Moïse, il y aura un remplaçant. Il me semble évident, en lisant le contexte, que le verset 18 se réfère à toute la série de prophètes qu’ont connu les juifs (et pas à un seul prophète). Jésus est né bien des siècles après la mort de Moïse. Pourquoi donc Dieu rassurerait-il les Israélites en leur disant qu’ils n’auront plus à voir Dieu face à face car après la mort de Moïse, le successeur se chargerait lui-même de recevoir les messages divins, si finalement de leur vivant ils ne verraient jamais ce « prophète » ? Et puis il est dit « un prophète, comme toi », donc un homme. Jésus est considéré comme étant Dieu lui-même, en quelque sorte. On voit bien que le verset Deutéronome 18:18 ne peut pas être à propos de Jésus.

Et « Jésus », dans l’évangile de Jean qui dit aux Juifs: « Vous n’avez aucune excuse: Moïse a parlé de moi dans la Thora. Si vous ne croyez pas en moi, c’est que vous ne croyez pas en ce qu’a dit Moïse. » Non mais sérieusement, les Juifs étaient-ils en mesure de reconnaître Jésus à partir de ce fameux passage du Deutéronome ? Notons enfin la déformation du verset Deutéronome 18:18 quand celui-ci est cité par Pierre. Pierre dit que celui qui n’écoutera pas ce prophète sera mis à mort. Mais dans le texte d’origine, il est dit que celui qui n’écoutera pas ce prophète, Dieu interviendra lui-même contre lui. Différence fondamentale ! Pierre, lors de son discours dans le temple, cite le verset dans l’ancienne version grecque. Or nous disposons actuellement d’une version antérieure et meilleure que l’ancienne version grecque pour la Thora.

À mon avis, ce passage du Deutéronome est en fait un subterfuge pour justifier le pouvoir théocratique à l’avenir (du temps du roi Josias, l’inventeur possible du judaïsme), et surtout justifier le fait que personne ne voit Dieu à part (soi-disant) le prophète en exercice. On dit au peuple qui s’étonne de ne pas voir Dieu : « Si, si, avant tout le monde pouvait voir Dieu, mais c’est vous-mêmes qui, dans votre propre intérêt, avez demandé à ne plus le voir, et depuis cette tâche incombe à un prophète. »

Dans l’évangile de Matthieu, le roi Hérode demande aux prêtres où doit naître le Messie (les mages lui ont demandé ce renseignement). Ceux-ci lisent dans le livre de Michée :

"Et toi, Bethléem, du pays de Judée, tu n’es certainement pas la moins importante des localités de Judée; car c’est de toi que viendra un chef qui conduira mon peuple, Israël".

Lisons maintenant Michée 5:1-3 (l’extrait cité dans Matthieu est souligné) :

« Et toi, Bethléem Éfrata, dit le Seigneur, tu es une localité peu importante parmi celles des familles de Juda. Mais de toi je veux faire sortir celui qui doit gouverner en mon nom le peuple d’Israël, et dont l’origine remonte aux temps les plus anciens. » Le Seigneur va abandonner son peuple en attendant le moment où la femme qui doit être mère aura un fils. Ceux qui auront survécu à l’exil viendront rejoindre alors les autres Israélites. Et lui, le chef promis, conduira fermement le peuple en manifestant la puissance et la présence glorieuse du Seigneur, son Dieu. Les gens de son peuple vivront en sécurité, car on reconnaîtra sa grandeur jusqu’aux extrémités de la terre. C’est lui qui amènera la paix.

Premièrement, si l’on n’isole pas l’extrait cité par Matthieu de son contexte et qu’on lit la suite, on se rend compte qu’il est parlé d’un chef de guerre, d’un dirigeant, qui dirigera les Israélites. Pendant son règne, les Israélites ayant survécu à l’exil étaient censés revenir en Israël. Cela ne s’est pas produit du temps de Jésus. Enfin, il est dit que ce roi amènera la paix. Or après la mort de Jésus, les mouvements nationalistes n’ont pas cessé de prendre de l’importance, et les Romains viendront mater la rébellion, et finalement disperser le peuple hébreu dans un peu tous les pays du monde connu (diaspora). Drôle d’accomplissement de la prophétie... Surtout qu’Israël, tant qu’il se tenait tranquille dans l’empire romain, jouissait de la paix. Notons aussi la manière dont les évènements se passent dans l’évangile de Matthieu d’une part et l’évangile de Luc d’autre part, pour que Jésus naisse bien à Bethléem. Dans l’évangile de Matthieu, Joseph habite à Bethléem, c’est pour cela que Jésus naît dans cette ville. Puis la famille de Jésus fuit en Égypte, apprenant qu’Hérode veut faire mourir ce dernier. Mais ensuite, en revenant d’Égypte, Joseph a peur de s’installer dans la même région, car le fils d’Hérode lui a succédé, et il préfère s’installer à Nazareth. Donc Jésus grandit à Nazareth, conformément à la prophétie. Dans l’évangile de Luc, Joseph et Marie habitent à Nazareth cette fois-ci, mais ils doivent se rendre à Bethléem pour se faire recenser. Un recensement est censé avoir lieu alors que Quirinus est gouverneur de la province de Syrie et qu’Auguste est empereur à Rome. Or d’après les documents historiques dont nous disposons, Quirinus n’a jamais été gouverneur en même temps qu’Auguste n’était empereur. Visiblement, « Luc » a inventé l’histoire de ce recensement. Bon, grâce à ce recensement, Jésus naît à Bethléem. Après avoir accompli à Jérusalem les rites demandés dans la loi de Moïse, sa famille retourne à Nazareth, donc Jésus y grandit. Toute personne honnête voit bien que nos deux auteurs font tout pour faire naître Jésus à Bethléem et le faire grandir à Nazareth. Ils ne s’y prennent pas de la même manière pour que cela arrive. Mais on a vraiment l’impression que nos deux auteurs inventent une vie de Jésus à partir de des prophéties messianiques auxquelles les juifs de cette époque croyaient : il faut qu’il naisse à Bethléem, qu’il grandisse à Nazareth, etc. Et pour tout le reste, on utilise son imagination.

Dans le livre d’Ésaïe, un passage semble presque être un résumé de la vie de Jésus. On le trouve dans Ésaïe 52:13-53:12. Par exemple « Or il supportait les maladies qui auraient dû nous atteindre, il subissait la souffrance que nous méritions » rappelle le sacrifice rédempteur de Jésus. Ensuite, pleins de détails correspondent effectivement avec les récits que nous avons sur Jésus: « Il s’est laissé arrêter sans protester, sans rien dire » ou encore « dans la mort on l’a mis avec les riches ». Cependant, notamment au vu de ce qui précède, il n’est pas impossible que les rédacteurs des évangiles aient fait en sorte, lorsqu’ils ont inventé des biographies de Jésus, de respecter ces détails pour que la vie de leur personnage corresponde au « Serviteur du Seigneur » du livre d’Ésaïe. En fait, c’est peut-être même ce passage qui leur a donné l’idée de la théologie de la rédemption. Le texte d’Ésaïe avait donné une idée similaire aux adeptes de l’une des sectes esseniennes, dont le chef s’était rendu à Jérusalem et avait été mis à mort par les chefs religieux (toujours pleins d’amour, de tolérance et de paix, à l’image de ce que l’Ancien Testament leur enseigne). Les adeptes de ce groupement croyaient que leur chef était mort pour leurs péchés, qu’il avait pris leurs péchés sur lui. Ils croyaient aussi que le passage d’Esaïe 53 était une prophétie à propos de leur chef. Je me souviens avoir lu une étude sur certaines sectes, et notamment ce qui se passait lors de la mort du gourou. Quand la mort du chef est la preuve que les adeptes ont cru à un mensonge, on pourrait penser que ces derniers arrêtent d’y croire et qu’ils laissent tout tomber. Or bien souvent, ce n’est pas comme cela que les choses se passent. Les adeptes partent dans des délires apocalyptiques, inventent une nouvelle théologie à partir de cette mort, et redoublent de zèle pour recruter de nouveaux membres.